Jours d'orages et jours de flammes
Ce dimanche matin, 20 août 1944 , ce fut un bruit inhabituel qui nous interpella. Nous entendîmes des détonations, par séries rapprochées. Aussitôt après des voitures arrivèrent devant chez nous, elles avaient des grosses lettres sur les carrosseries FFI ou FTP. C'étaient les maquisards, ces soldats de l'ombre, ceux dont tout le monde parlait, mais qu'on ne voyait jamais. Ils franchirent le portail, annoncèrent à mes parents qu'ils allaient libérer Montluçon et qu'ils allaient installer un poste de secours aux blessés dans notre sous sol. Maman s'affola un peu, il y avait des hommes partout, armés ou non. Ils déchargèrent du matériel et du ravitaillement, trois infirmières portant des brassards de la croix rouge installèrent une pharmacie de fortune et le ballet des tractions avant Citroën commença.
Nous étions à la fois contents et inquiets, une grande infirmière « Boby » rassura mes parents, les Allemands allaient partir. Nous ne demandions qu'à la croire et nous fîmes tout ce que nous pouvions pour les aider à s'installer.
La nuit fut tranquille, les coups de feu ne nous dérangèrent pas. Le lundi matin la fusillade reprit en ville, les hommes qui allaient et venaient nous dirent que la bataille se déroulait centre-ville. Les Allemands n'étaient pas décidés de partir. Je vis passer des blessés portant des petits pansements, personne ne parlait de morts au combat. Le moral resta stable jusqu'au soir.
La nuit il y eut de violents orages, c'est ce qui me fit lever. (Un groupe de FTP étranger à Montluçon demanda où était Fontbouillant et si il y avait des petits chemins pour arriver au-dessus de la caserne. Sans demander à mes parents, je répondis présent et j'emmenai ce groupe armé sur le point stratégique où il souhaitait se poster. A mon retour je découvris une mère folle d'inquiétude, j'eus droit à un super savon, je me sentis quand même très à l'aise dans mes sabots, j'avais participé à l'action.
Dans la journée de mardi les SS cantonnés dans la caserne firent une sortie meurtrière, ils montèrent jusqu'à Fontbouillant. (Une escouade de guérilleros espagnols reflua au carrefour du Pont vert. J'étais là avec mon copain Durif, nous vîmes une grande femme portant un brassard rouge, sortir son revolver et braquer les fuyards. Elle s'adressa à ces hommes en espagnol, elle ne dut pas être tendre, ils repartirent au combat aussitôt. Nous commençâmes à voir arriver des blessés. Ils racontaient que les SS mettaient le feu à toutes les maisons autour de la caserne. Effectivement Montluçon était noyé dans la fumée. Fort heureusement, des gros rangs d'orage continuaient de s'abattre sur la ville, c'est ce qui a limité les dégâts. La situation devint critique et mes parents nous envoyèrent Durif et moi-même dormir au Petit Cougour chez une vieille dame que nous connaissions bien.
En passant par la bordure du bois de Languistre, nous étions à quarante minutes de chez nous. Accueillis comme des princes par cette brave Madame Moricaud, nous passâmes une nuit insouciante dans un vieux lit de plume.
Le matin nous allâmes faire un tour au-dessus des gorges du Cher. Ce que je vis, me fis reculer et bloquer Durif sur place : De l'autre côté de la rivière un rassemblement de miliciens s'affairait autour d'une petite maison, près du moulin de Bréchailles, habillés en bleu marine avec de grands bérets basques, ils se préparaient à partir. Ils ne nous virent pas, je crois qu'ils nous auraient éliminé sans remords afin de sauver leur peau. Ils attendaient certainement la colonne de miliciens et de SS qui devait se diriger sur Moulins, via l'est de la France. Aujourd 'hui encore j'ai l'impression que nous n'étions pas conscients de la gravité des événements que nous vivions.
Nous faisions les marioles, cigarette américaine au bec, le jour précédent, j'avais hérité d'une cartouche de ces prestigieuses cigarettes, symbole d'une libération prochaine. Nous retournâmes à la maison le jeudi matin pour apprendre que Paris était libéré.
À Montluçon la situation n'était pas claire, un convoi de SS et de miliciens arrivait de Limoges et se dirigeait vers nous. Heureusement ils furent stoppés à Huriel et Quinssaines et s'enfuirent par Saint-Amand. Les miliciens les attendirent en vain. Le jeudi 25 août à minuit les FFI et les FTP prirent possession de la caserne. Montluçon était libéré. Il était grand temps, derrière le Pont Vert , un jeune FTP le frère d'un copain d'école, me fit une brillante démonstration de tir à la mitraillette au coup par coup. Les balles perdues allèrent se loger dans le tronc des marronniers de mes voisins. L'euphorie régnait partout, les balles perdues aussi, elles ne le furent pas pour tout le monde. Les mouchards connurent un jour de fête et nous des jours et des jours de bonheur.
Et pourtant : Le 8 septembre 1944, alors que nous étions, mon voisin Durif et moi-même près de l'étang de Languistre, nous vîmes quatre avions de chasse piquer chacun leur tour sur la voie ferrée, au-dessus du Petit Cougour et ils mitraillèrent un train qui passait. A vol d'oiseau, nous étions très près, j'ai ramassé une douille de mitrailleuse encore chaude. C'étaient des avions américains, ils s'étaient trompés de cible. Il y eut trois morts, le mécanicien :
Laporte, je crois, eut une main coupée et deux wagons furent incendiés. II fallut rester vigilant pendant de longs mois. |